Un petit mot sur les mesures, la densité, les calculs, de la théorie à la pratique…

Les nombreux podcasts qui fleurissent, accessibles à un clic, permettent d’écouter moult personnes qui parlent de moult sujets, passionnants, étranges voire cryptiques. En voilà un qui vaut le détour : le pourquoi du comment, hébergé par Radio France. Attention, niveau exigeant et réflexion subtile, on ne peut pas le ranger dans la catégorie des bruits de fond qu’on écoute distraitement. Il faut se concentrer.

Début avril, Etienne Klein nous parle en posant cette question un peu incongrue : pourquoi toute mesure a-t-elle à voir avec la conjugalité ? Le déroulé de sa réflexion, si je schématise un peu, consiste à poser une des bases de la science : le chercheur commence par détecter puis quantifier les régularités du réel (la température, le poids par exemple). Cela nécessite la mise au point d’un appareil de mesure (un thermomètre, une balance), et un objet à mesurer. Il faut donc un duo, machine, objet, et une interaction entre les deux qui permet à l’observateur d’en déduire une quantité. D’où la conjugalité. E. Klein dit également que cette mathématisation du réel permet d’en éliminer le biais de l’interprétation sensorielle et de devenir objectif pour livrer une description, plus fidèle donc à la réalité.

En va-t-il donc ainsi dans le tissage ? Sans doute aussi. On ne peut pas élaborer un projet de tissu sans se pencher en grande partie sur la densité d’empeignage. Et la formule qui nous permet de la déterminer a été mise au point par un tisserand rigoureux, M.Ashenhurst, fin 19^e début 20^e siècle. Nombre de croisements de fil par duite et densité du fil en réglette nous permettent d’approcher la densité parfaite théorique (vive l’observation !) en chaîne. Nous nous astreignons également à observer un équilibre entre les densités en trame et en chaîne. Voilà pour l’objectivité. En étant soi-même rigoureux, on trouvera à coup sûr une densité qui permet de réaliser un beau tissu.

Mais bon, nous sommes bien un peu obligés de confronter théorie et pratique, et intervient alors l’échantillonnage, puisque nous voulons adapter le tissu à l’usage auquel nous le destinons, plus ou moins serré, donc plus ou moins souple, avec un tombé plus fluide ou plus lourd. C’est là que nous introduisons des variations sur la densité en chaîne, infimes certes mais aux conséquences bien réelles.

Voilà pour la subjectivité, car nous avons une idée en tête et elle nous appartient pour adapter la théorie à notre envie. Quant à la créativité, elle naît des libertés que nous prenons. Car si justement on triche avec la formule, on peut arriver à créer des tissus ébouriffants.

« L’étrangeté est le condiment nécessaire de toute beauté ». Trichons ou soyons rigoureux, mais créons, que diable !

Margodric