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Le fil 3 : si le fil m’était conté

13 octobre 2024 -

Au fur et à mesure que ce blog s’élabore, ses différents auteurs ont quasiment tous écrit et brodé sur les métaphores et expressions littéraires qui proviennent en droite ligne du tissage : ourdir un complot, la trame d’une histoire, le fil des idées, etc. Quoi de plus évident que ce parallèle pour un conteur qui assemble ses idées, les entremêle tel des fils afin de livrer un ouvrage qui sera au final d’une seule pièce telle une étoffe précieuse qui habille une pensée ?

Je me suis penchée pour ma part sur l’expression « le fil rouge ». C’est parlant sans trop d’explication, cette idée qu’un fil d’une couleur différente qui se détache des autres est une sorte de repère qui permet de ne pas s’égarer. Mais pourquoi rouge ? Et bien ce n’est pas un hasard. Cela fait référence à une coutume de la marine royale anglaise où les cordages étaient traditionnellement traversés d’un fil rouge qu’on ne pouvait pas retirer sans défaire toute la corde. Il paraît qu’une des fois où il est fait référence à cette anecdote c’est dans un roman de Goethe qui s’appelle Les affinités électives. J’ai tenté de le lire mais j’ai été vaincue par son caractère indigeste, style démodé, mépris de classe et sexisme compris !

Il y a tout de même des histoires fascinantes dont le fil est une sorte de héros. Citons pour mémoire Ariane qui aide Thésée à sortir vivant du labyrinthe après avoir vaincu le Minotaure en lui donnant une pelote de fil. Ca ne lui réussit pas, d’ailleurs, à la demoiselle ! Il la plante sur une île et elle en meurt de chagrin.

Pour rester dans la mythologie grecque, le mythe des trois Moires colle quant à lui au plus près de la métaphore du fil comme image du destin : elles sont trois sœurs à fabriquer le fil de l’existence des mortels. Clotho la fileuse qui assemble les fibres et les enroule sur le rouet, Lachésis la répartitrice qui dévide la quenouille pour former la pelote, et Atropos l’inflexible qui tranche le fil et inéluctablement sonne l’heure du trépas.

Clotho, par Camille Claudel

Les frères Grimm ont livré leur propre version de ce mythe ancien dans un conte peu connu mais assez ironique, Les trois fileuses, où une petite paresseuse se voit promettre la main du prince charmant si elle file une quantité astronomique de lin pour la reine. Elle est alors aidée dans sa tâche par trois sœurs qui lui apparaissent par magie, chacune d’entre elles rendue difforme par son art (la première a une lèvre énorme qui lui sert à humidifier les fibres, la deuxième un pied énorme à force d’actionner la pédale du rouet, la troisième un énorme pouce qui lui permet de soulever avec expertise la bobine hors du cantre). Je ne vous dévoile pas la chute, croquante et savoureuse.

J’ai un autre exemple rigolo, d’un livre obscur que j’adore : Allo docteur, mon puma a avalé une pelote de ficelle, d’un certain David Taylor. Ce sont ses mémoires de vétérinaire spécialisé en animaux exotiques. L’anecdote qui donne son titre au livre est intrigante : un puma dans un zoo fait tranquillement sa toilette, et en se léchant attrape un bout de fil qui traîne là. Sa langue, comme celle de tous les félins, est recouverte de poils qui lui permettent de boire, recourbés vers l’arrière de sa gorge. Donc plus il se lèche, plus il avale de fil. Et à la fin, la pelote est dévidée, un bout qui sort par la gueule, l’autre qui sort par l’orifice d’éjection naturel. Récupérer l’objet n’est pas une mince affaire et le véto se retrouve à devoir opérer l’animal. Moult autres péripéties émaillent le livre et sont racontées avec un humour très anglais, si vous tombez dessus je vous le recommande.

Même les auteurs jeunesse sont susceptibles de se saisir du fil et d’en faire un ressort narratif : Claude Ponti, que j’adore, l’utilise souvent dans ses histoires. Okilélé et son parlophone, par exemple, qui lui sert à réunir -très matériellement- sa petite famille.

Enfin bon, pour le dire en un mot comme en mille, le fil c’est la vie.

Margodric