Les grecs et le tissage, le retour
11 janvier 2024 -Arachné : quand le tissage mène à la perte de la tisserande
… Ou bien l’orgueil ?
Connaissez-vous cette légende ? Arachné, merveilleuse tisserande, est visitée un jour par la déesse Athéna. Cette dernière, intriguée par la réputation de la jeune fille, se déguise en vieille femme pour admirer ses ouvrages. Au cours de la conversation, Arachné se vante imprudemment de sa virtuosité et déclare dépasser Athéna elle-même. S’ensuivent colère, défi, confrontation, défaite. Les dieux de l’Olympe ne sont pas connus pour leur mansuétude et l’histoire s’achève sur la perte de la malheureuse, qui finira pendue. La déesse la ressuscite alors sous la forme d’une araignée, éternellement suspendue au fil de soie dont elle fait de merveilleuses toiles, monuments architecturaux délicats et pièges mortels.
Que voilà une légende ambiguë. La jeune mortelle produit un ouvrage magnifique, auquel la déesse ne trouve objectivement aucun défaut. Et pourtant elle déchire l’étoffe de rage, et humilie son adversaire. Elle ne reconnaît pas, ce faisant, que la jeune grecque est au minimum son égale en dextérité. La morale de cette histoire est obscure. Qu’est-ce qui est puni ? La vantardise ? L’insupportable supplantage? Et la punition est double : la déesse pleine de mauvaise foi passe outre la magnificence de l’oeuvre, et elle fait ce don ambivalent d’une vie qui se passera dorénavant à tisser sublimement aussi, mais dans le but de piéger. La beauté au service de la destruction. Et des toiles à jamais condamnées à être déchirées, encore et encore. Les insectes attrapés sont en général enroulés dans les fils en guise de garde-manger, et il faut que l’araignée retisse la partie utilisée. Comme pour Sisyphe et son rocher qui roule inéluctablement jusqu’en bas de la pente.
On peut choisir d’y voir un exemple de châtiment de la jeunesse imbue d’elle-même, ou bien des extrêmités auxquelles sont poussées les femmes lorsqu’elles entrent en compétition les unes avec les autres. On peut aussi choisir de ne retenir que la poésie d’une légende qui appuie sur le miracle accompli par une créature si décriée, qui a si mauvaise réputation que l’araignée. Les toiles des araignées ravissent l’oeil (quand elles ne sont pas surchargées de poussière, certes!) surtout dans une saison automnale qui les décore des diamants de la rosée du matin. Peut-être nous faut-il une belle histoire pour nous laisser charmer par ces tableaux délicats ?
Sur ce, un excellent début d’année à vous tous.
Margodric